« Quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sous leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. »
Marcel Proust, Du côté de chez Swann in A la recherche du temps perdu (1913)
Aaaah…. la fameuse « madeleine de Proust » ! Vous savez, ces souvenirs que nous avons et que l’on transporte avec soi, tout au long de notre vie, tel un Eldorado délicieusement lové à l’intérieur de soi.
Albert Dagnaux – Les Jeux de l’enfance et de la jeunesse
Pour ma part, je garde un souvenir toujours ému lorsque je me remémore les vacances que je passais auprès de mon bien-aimé grand-père, dans sa ferme, à la campagne, éloignée de tout, et où régnaient en maître le calme, la paix, la sérénité.
Mon grand-père était un fermier, biodynamicien de surcroît, et mes souvenirs, naturellement, sont empreints de mille saveurs exquises : les fraises ou les tomates fraîchement cueillies… tous ces légumes, ces fruits pleinement vivants qui, sans doute car ils sont ceux de mon enfance, ont suscité en moi tant de plaisir et de délectation que depuis, nulle autre expérience n’a jamais pu les détrôner de leur statut de grands bonheurs de la vie.
Et puis… rien n’est parfait, n’est-ce pas ? Il faut bien que quelque chose vienne assombrir ce charmant tableau d’une enfance de liberté et de plaisirs simples ô combien précieux à la campagne… Il faut bien qu’à ces saveurs grandioses vienne s’en substituer une autre, sous la forme d’une madeleine de…………. POUAH !!!
Celle à laquelle je fais allusion en tous cas m’était administrée par mon grand-père bienveillant tous les soirs à la même heure, dans une (trop) grosse cuillère à soupe… ! Pas n’importe laquelle : une soupe à la grimace, bien sûr, tant ils étaient immense, le dégoût qu’elle m’inspirait, et les relents qu’elle occasionnait dans mon pauvre petit gosier jusque là ravi… S’il ne s’était pas agi de mon grand-père, en lequel j’avais une foi et une confiance inouïe, pour un peu, j’aurais crû à une tentative d’empoisonnement d’autant plus cauchemardesque qu’elle était vouée à se reproduire tous les jours, sempiternellement, avec chez mon grand-père un acharnement, une obstination qui n’avaient d’égal que sa foi en tous les trésors que la Nature nous offre généreusement.